Un « Manifeste pour une Suisse numé­ri­que­ment neutre »

Publié le 26.03.2025
Le 2 février 2025, nous, Raimondo Pictet, Simon Janin et moi-même, Nicolas Ramseier, avons publié un manifeste en faveur d’une Suisse numériquement neutre.

Dans un contexte international marqué par des tensions géopolitiques croissantes, nous sommes convaincus que la Suisse risque de perdre pied face à l’accélération de la révolution numérique si elle ne définit pas rapidement une stratégie claire et ambitieuse. Pourtant, notre pays dispose de nombreux atouts : une tradition profondément ancrée de neutralité, une forte culture de l’innovation, des institutions académiques de premier plan, une énergie accessible et une position centrale au cœur de l’Europe.

À nos yeux, il est donc essentiel d’élargir rapidement le principe de neutralité, qui a historiquement servi notre diplomatie et notre économie, au domaine numérique. Car avec une définition rigoureuse et une stratégie déterminée, la neutralité numérique peut devenir un avantage stratégique considérable pour la Suisse d’aujourd’hui et de demain.

Mais d’abord, qu’est-ce que la neutralité numérique ?

La neutralité numérique consiste, selon nous, à garantir que les données, l’innovation et la recherche demeurent autant que possible à l’abri de toute influence géopolitique, protégées par le droit suisse et accessibles de manière équitable et transparente.

C’est aussi offrir une alternative souveraine aux infrastructures numériques dominées par les grandes puissances. Il s’agit de proposer un espace à ceux qui refusent de participer à la guerre technologique entre grandes puissances. Viser un tel objectif peut sembler utopique, mais nous pensons qu’avec une vision stratégique et des mesures concrètes appropriées, c’est non seulement possible, mais nécessaire.
Comme je l’ai rappelé le 26 mars lors de l’émission Le poinG, animée par Laetitia Guinand, la neutralité numérique suppose plusieurs chantiers prioritaires :

Protection des données

Il s’agit de renforcer la juridiction suisse afin de garantir la sécurité, la confidentialité et la souveraineté des données hébergées sur notre territoire. Dans la guerre technologique actuelle entre plusieurs blocs, de nombreux acteurs publics et privés recherchent un tiers de confiance. À mes yeux, le mot « confiance » est ici tout aussi important que celui de « neutralité ». La Suisse peut et doit incarner cette combinaison unique.

Souveraineté numérique

Garantir que les réseaux critiques et les systèmes numériques soient placés sous contrôle suisse, tant sur le plan physique que juridique. Cela implique de soutenir activement les acteurs suisses du cloud, du matériel informatique et de la cybersécurité, afin de réduire notre dépendance aux grandes plateformes étrangères. Les capacités techniques existent déjà. Ce qui fait encore défaut, c’est une volonté politique claire et assumée.

Label « Technologie Neutre »

Créer une certification rigoureuse attribuée à des entreprises respectant des normes élevées de confidentialité, d’indépendance et de protection contre toute ingérence géopolitique. Ce label pourrait être délivré par un consortium d’experts (EPFL, ETH Zurich, acteurs fintech) pour éviter toute bureaucratie inutile.

Pour que cette vision devienne réalité, nous proposons :

  • Un programme de résidence numérique, permettant à des entreprises technologiques de s’enregistrer et d’opérer sous juridiction suisse sans présence physique, tout en bénéficiant d’un accès facilité aux services bancaires et d’un cadre juridique stable et compétitif.
  • Des procédures simplifiées pour la création d’entreprises tech, la protection de la propriété intellectuelle et l’accès aux services financiers, aujourd’hui encore trop complexes.
  • Une politique d’accueil proactive pour les talents technologiques et les digital nomads, souvent dissuadés par les lourdeurs administratives alors qu’ils pourraient renforcer notre écosystème.
  • Une recherche libre et durablement financée, par le renforcement des pôles d’excellence suisses, notamment à l’EPFL et à l’ETH Zurich, à l’abri des pressions politiques ou économiques.

Nous appelons donc le Conseil fédéral, les parlements cantonaux et les acteurs économiques à inscrire la neutralité numérique dans l’agenda stratégique 2025–2030.

Il est temps d’agir avec clarté, ambition et coordination. À nos yeux, la Suisse peut, et doit, devenir le refuge numérique de confiance du XXIe siècle.