La faiblesse cachée de la Suisse : une finance détournée de l’économie réelle.

Publié le 28.09.2025

 L’éventualité d’un retour de Genève sur la scène mondiale avec un sommet pour la paix en Ukraine est certes une bonne nouvelle, mais ne doit pas détourner notre attention d’un défi suisse bien plus profond : l’état de notre système économique et financier. Ce moteur pèse davantage sur notre quotidien et notre avenir qu’un moment diplomatique sous les projecteurs.

La Suisse s’est affirmée comme centre mondial de la gestion de fortune, le secteur financier représentant environ 9,2 % du PIB. Pourtant l’économie réelle manque de crédit local. Les PME produisent plus de la moitié du PIB et emploient deux tiers de la main-d’œuvre, mais peinent à se financer. Pour une prospérité durable, il faut préserver un réseau de petites banques locales, alors qu’en Suisse la tendance est inverse depuis plusieurs décennies.

Le crédit crée du pouvoir d’achat, mais tous les crédits ne se valent pas. Dirigés vers l’investissement et les exportations, ils stimulent la production et l’emploi. Orientés vers l’immobilier ou la finance, ils gonflent surtout les prix des actifs sans créer de croissance réelle. En Suisse, le crédit dépasse 1 100 milliards de francs, mais une part majeure alimente l’immobilier et la spéculation.

Les prêts représentent 1,85 fois le PIB, mais moins de la moitié des actifs bancaires sont des crédits, et le PIB ne compte que pour 26% des bilans [1][5][7][13]. En Allemagne, les prêts pèsent 1,66 fois le PIB et représentent 78 % des actifs, soutenant le Mittelstand [3][10][29][30].

La Suisse vit un paradoxe : un secteur bancaire immense mais déconnecté de l’économie réelle. Le Japon des années 1980 l’a montré : des crédits mal orientés peuvent nourrir une bulle puis une décennie perdue.

La Suisse conserve certes des atouts avec ses banques cantonales et coopératives, mais leur nombre a encore reculé en 2024. Plus les grands acteurs dominent, plus s’érodent les connaissances locales et les prêts relationnels. Résultat : le crédit alimente la hausse de l’immobilier et des actions, tandis que les salaires stagnent, accentuant la concentration des richesses.

Il faut agir. La BNS devrait mieux distinguer dans ses rapports les flux productifs ou spéculatifs. Les banques de proximité doivent être soutenues par une réglementation plus simple. Enfin, garanties publiques et incitations fiscales devraient favoriser les prêts aux PME, aux rénovations énergétiques et aux exportations.

Le choix est clair : la Suisse excelle dans la gestion de fortunes étrangères, mais doit transformer davantage son épargne en innovation et en emplois. Au-delà des vitrines diplomatiques, l’urgence est financière. Bâtir un système qui irrigue l’économie réelle et aligner le crédit sur le Mittelstand permettront de convertir l’épargne en prospérité durable sans renoncer à notre statut de place de premier rang.

 

Sources : [1] Switzerland Total Loans | 1985 – 2025 | Economic Indicators – CEIC https://www.ceicdata.com/en/indicator/switzerland/total-loans
[3] Germany Total Loans | 1957 – 2025 | Economic Indicators – CEIC https://www.ceicdata.com/en/indicator/germany/total-loans
[5] Switzerland GDP – Trading Economics https://tradingeconomics.com/switzerland/gdp
[7] Balance sheet – Banking Barometer 2024 https://publications.swissbanking.ch/banking-barometer-2024/balance-sheet
[10] Germany GDP – Trading Economics https://tradingeconomics.com/germany/gdp
[13] Economy of Switzerland – Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Economy_of_Switzerland
[29] [PDF] Banking statistics – Deutsche Bundesbank https://www.bundesbank.de/resource/blob/816174/2ec146127e3527fe86b0646ae87f67fc/472B63F073F071307366337C94F8C870/iv-strukturzahlen-gesamtinstitute-data.pdf
[30] Germany GDP: $5.78 trillion – World Economics https://www.worldeconomics.com/GDP/Germany.aspx